Posté le 15/02/2018 à 11:05 par Philippe Schwoerer - Lu 6968 fois -
24 commentaires
Du gaz de schiste pour les batteries lithium des voitures électriques
Doit-on applaudir ou s’inquiéter : une découverte scientifique permettrait de récupérer du
lithium à partir des
eaux usées qui ont servi à la
fracturation de la roche dans le scénario classique d’extraction du
gaz de
schiste !? Diversifier les sources d’approvisionnement de ce minerai est une excellente nouvelle dans un contexte de développement des
véhicules électriques à
batterie de traction. Mais lorsqu’une de ces sources provient d’une des manières les plus polluantes et catastrophiques pour obtenir une énergie fossile, l’enthousiasme baisse forcément de plusieurs crans ! Doit-on, avec une pratique controversée, alourdir la réputation de ces engins que l’on présente comme une solution majeure de mobilité durable ?
Membrane
A la base, une découverte qui s’appuie sur des travaux plus anciens. Celle d’un professeur et de son équipe de recherche de l’Université du Texas implantée à Austin. Plus précisément,
Benny Freeman est chercheur-enseignant au département de génie chimique McKetta de la Cockrell School of Engineering. Associée à des collègues australiens du département de génie chimique de l’Université Monash (Melbourne) et de l’Organisation fédérale pour la recherche scientifique et industrielle (Canberra), l’équipe américaine a mis au point une nouvelle méthode a priori très efficace pour extraire métaux et minéraux, dont le
lithium, à partir de l’
eau. Cela, en exploitant une
membrane en
réseaux métallo-organiques qui reproduit la fonction de sélectivité ionique des membranes cellulaires biologiques. Les résultats de leurs travaux ont été publiés dans le numéro du 9 février 2018 de
Science Advances.
Schiste
Sur le territoire texan, les formations de
schiste Barnett et
Eagle Ford sont actuellement en cour d’exploitation pour en obtenir le fameux
gaz sur lequel nombre d’industriels fondent leur espoir d’en faire l’alternative à certains produits pétroliers. Les
membranes en
réseaux métallo-organiques séparent efficacement les ions métalliques fortement présents dans les
eaux usées produites en grandes quantités par la
fracturation hydraulique. Pour rappel, cette technique de fissuration massive d’une roche, au moyen d’injections d’un liquide sous pression, permet de récupérer du pétrole ou du
gaz dans des matières très dures. L’idée des chercheurs est simple : puisque les
eaux usées qui reviennent après injection sont particulièrement riches en
lithium, autant l’extraire et l’exploiter. Certes, l’idée de récupérer une matière ou un matériau plus ou moins précieux dans une grande quantité de liquide dont on cherche à se débarrasser est plus qu’intéressante. Mais le scénario tend à légitimer une pratique que nombre de pays et territoires interdisent, du fait des conséquences géologiques et environnementales non maîtrisées.
Un puits = 200 VE par semaine
Sans doute pourrait-on croire que la découverte des scientifiques américains et australiens ne permettrait pas de bouleverser le marché du
lithium et le monde du
véhicule électrique. Erreur ! Chaque puits dans les formations de
schiste Barnett et
Eagle Ford produit jusqu’à 1.135.000 litres d’
eau usée par semaine. De quoi fabriquer les
batteries pour 200
voitures électriques ! Oui, 200 VE équipés par semaine pour un seul puits en action. Soit, pour 1 mois, de quoi servir toutes les Renault Zoé et Kia Soul immatriculées en France en janvier 2018 ! Depuis plus de 10 ans, ce sont plusieurs dizaines de milliers de puits qui ont été exploités sur ces sites ! Le potentiel est donc particulièrement important, tant que la course au
gaz de
schiste y sera ouverte. Il est sorti de ces zones bien plus de
lithium que nécessaire pour fabriquer toutes les
batteries de traction des
véhicules électriques construits dans le monde sur la même période ! On ne peut s’empêcher de raisonner, a posteriori, en termes de gaspillage ! Mais on imagine aussi très bien le boulet que constituerait aujourd’hui pour les
voitures électriques une utilisation du
lithium obtenu des formations de
schiste Barnett et
Eagle Ford si le minerai avait été exploité dans la fabrication de leurs accumulateurs ! A moins d’y trouver une justification environnementale très forte !
Désastre
En quelque 15 ans, les articles se sont accumulés pour dénoncer le désastre environnemental que constitue l’extraction du
gaz de
schiste par
fracturation de la roche. Dans l’un d’eux, publié en ligne il y a tout juste 2 ans par le magazine américain
The Texas Observer, - dont le siège est lui aussi basé à Austin -, on apprend qu’il s’échappait à cette époque jusqu’à 60.000 kilogrammes de méthane toutes les heures sur le site des formations de
schiste de
Barnett. Pour rappel, ce
gaz aurait un impact 84 fois plus important que le CO2 sur le dérèglement climatique. Et cela, à cause de la
fracturation du sous-sol. Ces chiffres, le média ne les a pas inventés. Ils sont issus des estimations calculées par des chercheurs du Environmental Defence Fund, qui ont travaillé avec leurs homologues universitaires du Colorado et du Michigan. Plus récemment, le 1er février 2018, le site Power Technology publiait un papier intitulé
« Fracking could disrupt aquatic ecosystems, study finds » dans lequel sont mis au jour les résultats d’une étude qui s’inquiète de l’impact de la
fracturation hydraulique sur les écosystèmes aquatiques. En janvier dernier, une production publiée sur le média Web Offshore Technology conclut que
« le gaz de schiste est l’un des moyens les moins durables de produire de l’électricité ».
A oublier ?
Faut-il abandonner l’idée d’extraire le
lithium de l’
eau par l’action de
membranes en
réseaux métallo-organiques ? Pas forcément ! Puisque le
lithium est présent dans l’
eau de
mer, il serait intéressant de connaître le rendement potentiel de la découverte de
Benny Freeman dans ce cas. Le minerai des
batteries de traction s’y trouve très certainement dans des proportions bien moindres, mais les fameuses
membranes ont aussi le pouvoir de débarrasser l’
eau du sel qu’elle contient. Une piste à explorer pour une application du procédé serait sans doute de connaître l’intérêt de transformer, en
eau douce, de l’
eau de mer, tout en récupérant le
lithium qui s’y cache. Les chercheurs estiment déjà que cette technologie coûte moins cher et consomme moins d’énergie que la désalinisation par les méthodes habituelles, comme, par exemple, l’osmose inverse. Il est à espérer que les bons choix seront faits pour que cette découverte soit exploitée utilement et de façon saine et transparente.
Mots clés : gaz | schiste | lithium | batterie | voiture | électrique | véhicule | membrane | fracturation | hydraulique | mer | eau | Benny Freeman | réseaux | métallo-organiques | Barnett | Eagle FordCatégories : Voiture électrique | Batterie | Pollution & qualité de l'air |
Commentaires
Posté le 15-02-2018 à 11:30:41 par MATHIEU
Ben voyons... Voilà de quoi justifier l’extraction du gaz de schiste polluant n’est ce pas ? Même pas lu. Scandaleux de lire çà ici
Posté le 15-02-2018 à 12:34:26 par Philippe Schwoerer
@Mathieu
Dommage que vous n’ayez pas lu l’article, car c’est justement le risque que je mets en avant ainsi : "Certes, l’idée de récupérer une matière ou un matériau plus ou moins précieux dans une grande quantité de liquide dont on cherche à se débarrasser est plus qu’intéressante. Mais le scénario tend à légitimer une pratique que nombre de pays et territoires interdisent, du fait des conséquences géologiques et environnementales non maîtrisées."
Le présent article est loin d’encenser cette découverte, sauf si elle peut s’appliquer à l’eau de mer, par exemple.
Posté le 15-02-2018 à 15:36:45 par ZoéT
Impensable ! Merci pour cet article très intéressant. On a du soucis à se faire ! C’est dingue que des scientifiques pensent associer gaz de schiste et voitures électriques.
Posté le 15-02-2018 à 15:55:19 par sitonia83
En effet, article très intéressant.
Posté le 15-02-2018 à 16:50:35 par Sonia
Je trouve difficilement mes mots pour dire combien je suis choquée d’apprendre que des chercheurs estiment intéressant de récupérer le lithium de l’extraction du schiste pour fabriquer les batteries des véhicules électriques. Et en même temps, quand on pense que ce lithium sera autrement perdu ! Bouleversant ce lien !
Posté le 15-02-2018 à 17:07:04 par Vickers
J’ai lu dans Science Advances qu’une des scientifiques qui a participé à l’expérimentation s’est dite enthousiaste de participer ainsi à une découverte en rapport avec le bien public. Ce serait une bombe à retardement pour la mobilité électrique.
Posté le 15-02-2018 à 17:25:53 par PMC
Le risque est bien sûr que le lobby du schiste s’empare de la technologie pour promouvoir sa filière et la développer. Avec un Trump au pouvoir, la porte est grande ouverte.
Posté le 15-02-2018 à 19:18:23 par electronlibre
@PMC
Est-ce que c’est Trump qui à autorisé les gaz de schiste? Selon mes souvenirs, c’est sous l’administration Obama qu’ils l’ont été, non?
Yes we can!
Posté le 15-02-2018 à 20:13:34 par PMC
@electronlibre
Pourquoi vivre dans le passé ? Je parle de la situation actuelle, contemporaine de la découverte présentée dans l’article. C’est bien Trump l’actuel président des Etats-Unis ? Il s’est bien prononcé il y a quelques mois en faveur du gaz de schiste ?
Posté le 15-02-2018 à 21:08:42 par Tickist
Revoilà ce problème du gaz de schiste dont l’extraction devrait tout simplement être interdite.
Posté le 15-02-2018 à 21:10:53 par dud
c est pas si pire le gaz de chiste
Posté le 15-02-2018 à 22:34:31 par JB Segard
Pour l’extraction dans l’eau de mer il faudrait la consommation d’eau douce d’une personne (150l/jour) pendant 500 à 600 ans pour extraire 6kg de Lithium...
Posté le 15-02-2018 à 22:59:59 par Daniel
Rien ne se perd, rien ne se crée. Alors, pourquoi cracher dessus puisque de toute façon les Étasuniens exploiteront le gaz de schiste. Cela s’appelle du pragmatisme et de l’indépendance énergétique.
Posté le 16-02-2018 à 07:23:07 par Mario
Il faut être clair, on ne va pas exploiter du gaz de schiste pour récupérer du lithium, mais récupérer du lithium là ou on exploite du gaz de schiste. Et si exploiter du gaz de schiste est une mauvaise chose (ce qui peu se discuter, vaut-il mieux exploiter du gaz de schiste chez nous avec des règles stricts, ou importer du gaz Russe exploité n’importe comment dans l’Arctique?) qu’on dépollue au moins les eaux usées est le minimum, et à toutes choses égales, il est mieux d’utiliser le lithium qu’on récupère en dépolluant l’eau plutôt que de le jeter et aller exploiter des mines ailleurs pas toujours dans de bonnes conditions.
Posté le 16-02-2018 à 08:16:51 par 6 kg de lithium...
6 kg de lithium (voir commentaire JB Segard), c’est 2 batteries de VE...
Posté le 16-02-2018 à 08:23:03 par @Posté le 16-02-2018 à 08:16:51 par 6 kg de lithium...
Bizarre l’ICCT parle de 2 % de lithium dans une batterie de Bolt de 435 kg (voir fil Impact carbone des batteries et véhicules électriques par l’ICCT).
2 % de 435 kg = 8,7 kg !
Posté le 16-02-2018 à 08:44:12 par VE et pétrole
Et 2 % de polyester issu de la pétrochimie !
Qu’est-ce qui se cache dans les 18 % de Other ?
Posté le 16-02-2018 à 09:46:25 par ZoéT
3 kg et 8,7 kg de lithium pour un VE c’est cohérent si on a des batteries de 20 khw d’un côté et de 60 kwh de l’autre.
Posté le 16-02-2018 à 10:31:04 par Clémence
Si des batteries de voitures électriques étaient fabriquées avec l’eau d’extraction du gaz de schiste, je ferais le choix d’acheter une voiture électrique qui échapperait à ce procédé. Et je compte bien sur Greenpeace et Amnesty International pour nous tenir informé. J’ai fais le choix d’une électricité verte, et ce n’est pas pour que mes efforts soient anéantis par une industrie qui détruit des régions entières en ne se souçiant que de l’argent qui rentre et pas de l’avenir de nos enfants.
Posté le 16-02-2018 à 11:39:37 par Leaf46
Si récupérer le lithium des eaux usées de la fracturation n’était pas un prétexte à encourager le développement de l’extraction du gaz de schiste, je n’y verrais pas d’inconvénients, bien au contraire. Laisser perdre ce lithium serait un gâchis monstre. Mais on se doute bien que cette découverte va être récupérée par les lobbies qui ont là un argument tout trouvé pour verdir leur activité et la développer. C’est difficile d’avoir un avis tranché sur la question. Ne souhaitant surtout pas que l’extraction du gaz de schiste se développe du fait des graves problèmes environnementaux que ça cause et que les responsables n’arrivent pas à résoudre, je rejoins la liste de ceux qui sont contre.
Posté le 16-02-2018 à 12:01:01 par JeromeP
La solution ne serait-elle pas de faire en sorte que cette activité de récupération du lithium ne profite pas à l’industrie du gaz de schiste, en la confiant à une ONG ou à une association ?
Posté le 16-02-2018 à 12:39:19 par electronlibre
L’exploitation des gaz de schiste est conditionné au système capitaliste: quand ce ne sera plus rentable, l’exploitation sera abandonnée...
@PMC
La situation actuelle découle des décisions du passé, si on ne regarde pas, ne comprend pas l’histoire, alors nous sommes condamnés à la répétée. Nous avons atteint notre niveau de vie actuel grâce à l’énergie du charbon, puis du pétrole et du gaz naturel et enfin du nucléaire, et ce sans se soucier de notre environnement. A la fin du 19è siècle, Nikola Tesla voulait nous donner une énergie abondante, gratuite, en préservant l’environnement. Que s’est-il passé? Consciemment ou non, l’homme est destructeur...
Posté le 17-02-2018 à 10:25:12 par mohican37
"Science sans conscience n’est que ruine...du monde et de l’humanité"
Continuons dans cette voie de l’ultra-capitalisme et profitons lâchement de notre petit confort immédiat.
Posté le 17-02-2018 à 14:26:41 par And67
Il ne manquait plus que ça ! On pourrait peut être aussi fracturer la roche exprès, tant qu’on y est !
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