Les vacances d’été sont des aubaines pour les amateurs de l’histoire des véhicules électriques. Et ce, grâce aux brocantes et vide-greniers qui se multiplient dans les rues, en particulier au sein des territoires les plus touristiques. En chinant, nous sommes tombés sur le numéro 762 (novembre 2009), de L’Automobile magazine, cette revue fondée en 1946, reconnue comme la plus ancienne dans sa spécialité. Dans un article intitulé « La voiture en France : qui faut-il croire ? », elle tente d’envisager l’avenir de la mobilité électrique en croisant les déclarations de Renault et celles du gouvernement français de l’époque avec ses propres connaissances. Les encadrés « Pourquoi ça peut marcher ? » et « Pourquoi ça peut disjoncter ? » semblent avoir été en grande partie écrits il y a quelques jours, tellement ils paraissent d’actualité. Et pour ce qui est déjà vérifiable, force est de constater que la rédaction du magazine a été perspicace.
Pourquoi ça peut marcher ?
Un contexte politique favorable
En 2009, un bonus de 5.000 euros est déjà en place, prolongé jusqu’en 2012, qui s’applique pour tout achat d’une voiture particulière émettant moins de 60 grammes de CO2 au kilomètre. Mais allez donc trouver une voiture électrique neuve dans les concessions en France cette année-là ! Le gouvernement a cependant déjà communiqué sur l’obligation légale d’équiper en prises électriques à partir de 2012 tous les parkings d’immeubles de logements neufs, avec un transfert vers ceux des bâtiments de bureaux pour 2015. Neuf ans plus tard, le contexte politique est plus que jamais favorable au développement des véhicules électriques, avec un bonus écologique qui peut être complété par une prime pour la destruction d’un modèle thermique considéré officiellement polluant. Les obligations concernant la recharge sur les parkings des bâtiments neufs ont été étendues l’année dernière à ceux : « à usage industriel » ; « accueillant un service public » ; « constituant un ensemble commercial ou accueillant un établissement de spectacles cinématographiques ».
Un industriel français qui a beaucoup misé
Rappelons qu’en 2009, en France, les voitures électriques que l’on voit circuler sont essentiellement celles de l’ancienne génération : Peugeot 106 et Partner, Citroën AX, Saxo et Berlingo, Renault Clio et Kangoo 2001-2005. De rares chanceux peuvent croiser une Tesla roadster ! Les Citroën C-Zero et Peugeot iOn n’arriveront qu’environ 12 mois plus tard, et il faudra attendre respectivement 2011 et 2013 afin que la préfecture délivre les premières cartes grises pour les Nissan Leaf et Renault Zoé. La japonaise est d’ailleurs superbement ignorée dans le magazine qui s’attend à ce que la Peugeot iOn « ouvre le bal » de la nouvelle génération de VE. Ce qui est vrai, quasiment à égalité avec sa jumelle aux chevrons. Dans les colonnes de la publication, on annonce la citadine du Losange pour 2012, après la mise sur le marché des Kangoo, Twizy et Fluence. On y parle aussi des nouveaux Berlingo et Partner à batterie de traction. Mais c’est bien Renault qui est mis en avant dans L’Automobile magazine. Renault qui pèse aujourd’hui si lourd sur le marché français branché, que sa Zoé représente environ 50% des ventes de voitures particulières électriques, auxquelles on peut ajouter la version utilitaire.
Une production française d’électricité peu émettrice de CO2 grâce au nucléaire
C’est toujours vrai !
Prix du baril de pétrole et taxe carbone
L’Automobile magazine prévoyait en 2009 une augmentation « inéluctable » des prix de l’essence et du gazole, emportés par la remontée du prix du pétrole brut et de la mise en place de la taxe carbone. C’est le cas, même si l’on observe des périodes de rémission au niveau du baril et des pompes.
Zones à circulation restreinte
« Certains centres-ville pourraient bientôt n’être ouverts qu’aux seuls véhicules ‘zéro émission’ » envisage en 2009, avec justesse, la revue. C’est déjà le cas, et certaines des annonces effectuées le 20 juillet dernier par Nicolas Hulot et Elisabeth Borne, respectivement ministre de la Transition écologique et solidaire et ministre chargée des Transports, vont dans ce sens. Au cœur de la loi d’orientation sur les mobilités, le développement des zones à faibles émissions au sein des territoires les plus touchés et dans l’ensemble des agglomérations de plus de 100.000 habitants. Ce qui implique un allongement de la liste des espaces interdits aux engins thermiques.
Réseaux intelligents et énergies renouvelables
En 2009, on envisage déjà le développement de la voiture électrique comme pouvant faciliter ceux des réseaux intelligents et des énergies renouvelables, « grâce à la capacité de stockage des batteries embarquées ». Les professionnels impliqués en parlent en tout cas suffisamment pour que L’Automobile magazine s’en fasse l’écho. Neuf ans et plusieurs démonstrateurs plus tard, ces scénarios sont toujours d’actualité, mais pour le concret, à grande échelle, il va falloir attendre encore !
Pourquoi ça peut disjoncter ?
Prix, poids et encombrement des batteries lithium-ion
De quelles données disposait la rédaction d’Automobile magazine en 2009, alors qu’il n’y avait quasiment pas de VE exploitant des batteries lithium-ion ? Quoi qu’il en soit, pas mal de progrès technologiques en 9 ans concernant ces points, qui ont d’abord profité à l’autonomie, plutôt qu’à une réduction massive du prix des voitures électriques. L’encombrement, finalement, les constructeurs s’en jouent en modelant les packs afin de conserver l’espace intérieur parfois en totalité, par comparaison avec les modèles thermiques équivalents. Gagner encore sur le poids serait bénéfique, à la fois pour l’autonomie et les émissions de particules dues à l’abrasion des pneus, des garnitures de frein et de la chaussée. On annonce de nouvelles baisses des prix dans les années à venir, notamment en réduisant la part de cobalt.
Performances et autonomie limitées
Concernant les performances, s’il s’agit de la puissance et de la vitesse de pointe des véhicules électriques, l’argument est dépassé depuis l’apparition de la Peugeot iOn quelques mois seulement après la publication de l’article. On imagine, qu’à ce sujet, L’Automobile magazine avait à l’esprit les médiocres résultats des modèles équipés de batteries NiCd. L’autonomie, quoique encore trop chiche du point de vue de nombre d’automobilistes, a été multiplié par 2 environ sur les Nissan Leaf et Renault Zoé, par rapport aux premières versions. Avec les suivantes, le rayon d’action ne devrait plus être perçu comme un problème. Nous sommes en passe de le dépasser. Ce poste mis dans les points négatifs est tout simplement en train de se gommer.
Temps de recharge trop longs
Neuf ans plus tard, on sait faire beaucoup mieux sur le papier concernant le temps de recharge des batteries. Des puissances plus fortes sur les bornes accompagnent l’augmentation de la capacité des packs. Une quinzaine de minutes pour régénérer à 80% les accumulateurs des voitures particulières électriques ajoutées sur le marché en 2018. Mais sur le terrain, même la recharge rapide 50 kW n’est pas suffisamment développée. Effectuer de longs trajets en VE en 2018 reste un problème qui va encore durer quelques années, hélas ! Sauf à suivre des parcours particulièrement bien équipés, ou à être l’heureux propriétaire d’une Tesla.
Incertitude sur la fiabilité des batteries
On ne peut reprocher à L’Automobile magazine d’émettre en 2009 un doute sur la fiabilité des batteries lithium-ion assemblées pour la mobilité électrique, puisque les voitures qui vont les exploiter ne sont pas encore dans les concessions en France. Mais en 2018, cet argument qui pouvait jouer en défaveur des VE n’existe plus. Les voitures particulières branchées qui ont dépassé les 100.000 kilomètres ne sont plus des raretés ; certaines ont même avalé bien plus. L’incertitude n’est plus sur la fiabilité des batteries, mais sur le coût pour les changer une fois qu’elles seront trop faibles pour une utilisation confortable en mobilité. Quelques constructeurs, – Renault et Nissan en particulier -, se sont montrés plutôt rassurants à ce sujet. PSA, en revanche, pas du tout, adressant aux quelques clients déjà demandeurs des devis prohibitifs, supérieurs au prix d’achat des C-Zero et iOn bradés en 2012 !
Explosion du coût de certains composants des batteries
C’est exactement ce qui se passe actuellement pour le cobalt qui a pris 14% de plus en seulement 60 jours, entre le 16 mai et le 16 juillet 2018. L’Automobile magazine pensait plutôt au cuivre du câblage, au lithium, au néodyme… Qu’importe, la crainte est bien justifiée et plus que jamais d’actualité, au point que les laboratoires et industriels cherchent d’autres pistes technologiques. Ainsi Le groupe Johnson Matthey avec sa batterie eLNO, ou easyLi avec une solution sodium-ion qui trouve son origine avec le CNRS et le CEA.
Marge de progression importante des moteurs thermiques
En 2009, L’Automobile magazine estimait que les moteurs diesel et à essence pourraient résister encore longtemps à l’avancée des chaînes de traction électriques, « tant du point de vue économique qu’environnemental ». Presque 10 ans plus tard, on peut dire que du point de vue économique, c’est vrai. Du point de vue environnemental, ça l’est beaucoup moins, surtout depuis que s’accumulent les affaires de type dieselgate. Un bémol toutefois, avec les particules d’abrasion qui, du fait d’un poids encore supérieur des véhicules électriques, par rapport à leurs équivalents thermiques, plomberaient quelque peu les vertus écologiques des VE à ce niveau.
Bien joué à la rédaction de L’Automobile magazine !
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Constructeurs, importateurs, collectivités, entreprises ou particuliers, rejoignez-nous et bénéficiez des nombreux avantages accordés à nos membres.
Vous souhaitez rester au courant des dernières nouveautés et recevoir une notification dès qu'un article est publié, inscrivez-vous à notre newsletter !