Voici la suite de l’audition publique organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) autour du sujet : « Les collectivités locales face au défi du déploiement des infrastructures de recharge des véhicules électriques ». La seconde table ronde avait pour thème « Les perspectives d’optimisation du déploiement des infrastructures de recharge ».
7 kWh à recharger par jour
Joseph Beretta, président de l’Avere-France, a rappelé devant l’auditoire que le besoin des électromobiliens n’est pas de recharger complètement (de 0 à 100%) la batterie de leurs véhicules électriques tous les jours : « 80% des français parcourent moins de 50 kilomètres par jour, soit moins de 7 kWh à recharger par jour ». D’où un impact sur le réseau électrique bien moins élevé que beaucoup le pensent. Toutefois il a souligné que de temps en temps les automobilistes branchés ont besoin d’effectuer plus de 300 km dans la journée. « Il faut aussi traiter ce besoin de longues distances », a-t-il assuré. « C’est important d’avoir des bornes de forte puissance pour l’itinérance », a-t-il plaidé, en indiquant qu’il « est impératif de tenir compte de l’évolution des batteries ». Autre rappel de Joseph Beretta : « 1 français sur 4 a accès facilement à un point de recharge pour son véhicule électrique, sur la voie publique comme chez lui ».
Baromètre de la mobilité électrique
Tous les 2 ans, l’Avere-France dresse un baromètre de la mobilité électrique qui permet d’obtenir quelques informations, notamment sur la perception des VE par les automobilistes. Pour beaucoup, « c’est encore un parcours du combattant pour faire installer une prise de recharge en copropriété, avec des délais qui peuvent s’allonger fortement », a alerté Joseph Beretta. Il a noté un besoin d’informations « sur la manière de recharger un véhicule électrique, sur la manière avec laquelle aller à la prise, et faire l’acte de recharge, que ce soit sur la voie publique ou au domicile ». A travers le programme Advenir, d’ici 2020, seront financés plus de 12.000 points de recharge, privés ou publics, et aussi dans les copropriétés, jusqu’à un maximum de 50% de l’investissement. Le président de l’Avere-France a prévenu qu’il est important d’avoir un taux élevé de disponibilité des points de recharge, ce qui passe par un bon service de maintenance et la possibilité de réserver les bornes afin de ne pas ajouter un temps d’attente au temps de recharge.
Discordance VE/Bornes
Chercheur au CNRS, Gilles Voiron s’est appuyé sur l’étude intitulée « Capacité des territoires à intégrer la mobilité électrique » (Catimini 2017-2018) pour mettre au jour des discordances observées entre le taux de pénétration des véhicules électriques et la présence de bornes de recharge. Tout tourne autour de 4 composantes : Facilité de la recharge (publique, privée, et professionnelle), avec des freins ou facilités identifiés (coût et vitesse de la recharge, type de logement, participation de l’entreprise, aides à l’installation) ; Adéquation du VE par rapport aux besoins de la population (kilométrage quotidien, pourcentage des pentes des routes) ; Intérêt et motivation pour l’achat d’un VE (contraintes réglementaires comme les ZFE, revenus des ménages, 1 ou plusieurs véhicules dans les foyers, présence d’une station-service à proximité, aides locales à l’achat) et le contexte local (manifestations et communication autour du VE, parc de VE déjà roulant sur le territoire, présence ou non d’un service d’autopartage VE).
Exemples
L’étude Catimini a ainsi mis au jour que « les agglomérations d’Aix, Marseille, Nice et Toulon ont obtenu un score moyen, pénalisées par un important parc collectif d’habitation », a souligné Gilles Voiron. En revanche le département des Bouches-du-Rhône dispose globalement d’une bonne note en raison de la subvention de 5.000 euros à l’achat d’un véhicule électrique apparue au 1er novembre 2018 et qui s’ajoute aux dispositifs nationaux. Le chercheur a aussi mis en avant le cas de la Norvège où 5% des recharges sont effectuées sur les bornes publiques. Depuis 2014 l’usage quotidien des bornes sur les voies publiques diminue, passant de 10% cette année-là à 2% en 2017. A l’inverse la demande en recharges rapides augmente le long des grands axes routiers. L’évolution croisée des 2 courbes est consécutive à l’augmentation de l’autonomie des véhicules électriques.
Des stations bien visibles
Gilles Voiron a remonté une observation d’un syndicat de l’énergie : « Quand le service était gratuit, il y avait 4 fois plus de recharges sur les bornes rapides que sur les bornes accélérées. Depuis la mise en place d’une tarification, les bornes rapides sont encore plus employées, malgré un tarif plus élevé les concernant ». Le chercheur plaide pour des bornes bien visibles, « regroupées en clusters là où elles sont les plus utilisées ».
Diversité des taux d’utilisation
Directrice générale d’Izivia, Juliette Antoine-Simon a chiffré à 6.000 le nombre de points de recharge que son entreprise, filiale d’EDF, exploite pour différentes clientèles : collectivités et assimilés (villes, métropoles, régions, syndicats de l’énergie), entreprises pour leurs salariés, clients ou leurs propres flottes. Elle a témoigné d’une forte augmentation de l’usage des 200 bornes rapides 50 kW du Réseau Corri-Door, qu’elle a interprétée comme une appropriation du principe de l’itinérance par les utilisateurs de véhicules électriques. Elle a tenu à faire remonter une grande diversité des taux d’utilisation d’une borne à une autre, entre 1 seule recharge mensuelle et 15 utilisations par jour. « Les bornes les plus utilisées sont dans l’urbain dense dont la ville de Paris », a-t-elle souligné.
Un service qui n’est pas rentable
« Quel que soit le taux d’utilisation, le service de recharge n’est pas rentable parce que les coûts d’exploitation des réseaux sont bien supérieurs aux revenus, sans parler des coûts d’investissement », a déploré Juliette Antoine-Simon, qui espère la mise en place de subventions à l’exploitation. « Si on veut une bonne qualité de service, ça a un coût ! », a-t-elle justifié. Répondant à une question du sénateur Gérard Longuet qui présidait l’audience, elle a chiffré : Pour arriver à un équilibre, il faudrait que chacune des bornes d’un réseau « enregistre entre 5 et 10 charges par jour », alors que dans le meilleur des cas la moyenne d’utilisation se situe à « 1 charge par jour et par borne ». Elle a toutefois rappelé que ces estimations dépendent du prix du service.
Investisseurs privés
Juliette Antoine-Simon voit comme une bonne nouvelle l’arrivée de fonds d’investissements privés, comme ça a été le cas pour le récent projet annoncé du Grand Lyon. C’est le signe, selon elle, que « la rentabilité de la recharge arrive ». Un scénario qu’elle met aussi sur le compte d’une longue durée (15 ans) d’exploitation du réseau accordée par la grande collectivité. « C’est à cette condition que nous avons pu investir », témoigne-t-elle. Izivia va expérimenter 2 stations à 350 kW de puissance maximale. Mais la directrice générale se demande si ça vaut la peine d’investir dans de telles IRVE quand on sait que « les plages de fortes puissances ne durent qu’une dizaine de minutes par recharge ».
Enedis est prêt
Enedis est gestionnaire de 95% du réseau d’électricité sur le territoire métropolitain. Géraldine Paloc, chargée de mission auprès du directeur du programme pour cette entreprise, a souligné que c’est bien cette dernière qui a reçu la mission de « raccorder les 23.318 point de recharge disponibles aujourd’hui dans l’espace public ». Et si l’on ajoute les 30.000 branchements par an effectués pour les énergies renouvelables, « Enedis à la capacité d’assurer le raccordement des bornes de recharge dans les années à venir », certifie-t-elle. D’autant plus que 10 à 15% des 3 milliards que l’entreprise investit par an en France concerneraient plus ou moins directement le déploiement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques.
Le réseau électrique tiendra
Autre certitude de Géraldine Paloc : « le réseau électrique tiendra face au développement de la mobilité électrique ». Mais cela nécessite de prévoir un pilotage « pour permettre d’optimiser le réseau dans son architecture et faire face aux pointes de consommation liées aux IRVE sur voies publiques, en résidentiel collectif ou autres domiciles des particuliers », complète-t-elle. Rappelant que « plus de 40% des Français vivent dans le résidentiel collectif », la chargée de mission met en avant qu’Enedis est « prêt à pré-équiper en câbles un certain nombre d’immeubles qui en ferait la demande pour faciliter le parcours client et faciliter l’installation de bornes et de prises à venir ». Insistant sur la répétition du mot « collectif », Géraldine Paloc a prévenu : « Il y a un travail collectif à faire sur le résidentiel collectif ».
Enjeux
Au fait, quels sont les enjeux du développement de la mobilité électrique ? Jérémie Almosni, chef du service transport et mobilité de l’Ademe, a tenu à les rappeler à travers un jeu de tableaux : Défi énergétique (réduction de la dépendance énergétique, diversification énergétique) ; Défi d’épuisement des ressources (fossiles et minérales, criticité des matières premières) ; Défi du réchauffement climatique (amélioration des performances des véhicules, amélioration de nos modes d’utilisation des véhicules) ; Défi relatif aux émissions de polluants (impact sur la santé). Jérémie Almosni a également remis sur la table ronde 2 documents de référence : « La programmation pluriannuelle de l’énergie qui fixe à horizon 2028 plus de 4 millions de véhicules électriques » en circulation en France, et « la directive sur les carburants alternatifs qui donne un cap sur le nombre de points de recharge à horizon 2020 et 2030 ».
VE + VHR = 70% du parc en 2050
Selon la « Vision Ademe 2030-2050 », 70% du parc seraient composés en 2050 de véhicules électriques et hybrides rechargeables. Une baisse notable de la mobilité individuelle résulterait alors du développement de la mobilité partagée. Pour Jérémie Almosni, du fait de leur poids carbone important à la fabrication, les voitures électriques sont à privilégier pour un usage intensif quand d’autres solutions, notamment les transports en commun, ne sont pas exploitables. Ainsi pour les trajets domicile-travail, la livraison de marchandises en ville, les flottes partagées d’entreprises. « Le véhicule électrique comme accélérateur de la transition vers de nouveaux modes de déplacements », peut-on lire sur un des documents projetés, le VE « optimisant l’utilisation » et « n’imposant plus la possession ». Autre conviction de l’Ademe : Le véhicule électrique « comme un maillon d’une gestion énergétique plus intelligente et un contributeur à la mise en place des réseaux électriques intelligents ».
Au sujet des bornes
Jérémie Almosni a fait remonter lors de la table ronde « des difficultés pour s’approvisionner en bornes », avec seulement « 10 acteurs identifiés », mais aussi des difficultés de positionnement vis-à-vis d’acteurs dominants, notamment Bolloré quand on attendait de son entreprise un maillage national en bornes de recharge. Reconnaissant qu’actuellement « le décollage du marché du véhicule électrique est en-deçà des prévisions », le chef du service transport et mobilité de l’Ademe a fait part des résultats d’une étude selon lesquels il faudrait « créer un cadre favorable à la demande qui ne se limite pas au financement des véhicules électriques, et qui incite au développement des IRVE dans les zones d’activités ». Lui aussi plaide pour la « création de hubs urbains », et notamment « des infrastructures accessibles aux taxis et VTC ».
Le VE pour des privilégiés ?
A la fin des présentations programmées pour cette seconde table ronde, le préfet Francis Vuibert a tenu à mettre en garde : « Ne pas faire perdurer l’idée selon laquelle pour avoir un véhicule électrique il faudrait avoir une solution de recharge à domicile ». Il a détaillé : « On fait une politique élitiste qui laisse à penser que le véhicule électrique est réservé à celles et ceux qui habitent dans un pavillon avec un garage. Or 37% des habitants, c’est-à-dire 10,4 millions foyers, ne disposent d’aucune solution de parking et de stationnement à domicile, que ce soit dans un habitat individuel ou collectif, en plein centre d’une agglomération ou dans un village ». Il a appelé à la création de « stations-service électriques expérimentales ». Il a estimé : « S’ils ont la possibilité de se recharger rapidement pour récupérer de quoi faire les kilomètres hebdomadaires nécessaires à leurs trajets pendulaires quotidiens », les automobilistes qui auront adopté la voiture électrique retrouveront le « mode de fonctionnement qu’ils ont aujourd’hui avec les véhicules thermiques ».
Appel aux constructeurs
Directeur général du syndicat du Maine-et-Loire, Emmanuel Charil espère la disparition de « la zone blanche de la recharge dans le centre de la France qui freine l’itinérance ». Il s’est aussi inquiété de l’avenir du réseau 22 kW. « On a fait ce choix parce qu’il constituait un compromis entre l’appel de charge, la puissance et la vitesse de recharge », se remémore-t-il. Il appelle « les constructeurs de véhicules électriques à insérer sous le capot un chargeur 22 kW » qui permettrait d’exploiter les bornes accélérées majoritairement déployées en France par les syndicats de l’énergie. Pour conclure, le DG du SIEML s’est dit « sceptique sur la concurrence qui s’installe entre les différents opérateurs de superchargeurs comme Ionity et Tesla ». Ce scénario lui rappelle la période de « concurrence au sujet des normes de prise ». Il espère des déploiements complémentaires et profitables à tous les électromobiliens, quels que soient les modèles de voitures électriques qu’ils conduisent.
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